Paris et Phnom Penh : préserver ensemble un patrimoine urbain fragile

Actualité

Mise à jour le 03/12/2025

photo vue aérienne centre phnon penh Google
Dans les quartiers anciens de Phnom Penh (Cambodge), les escaliers des immeubles des années 1960 craquent sous le poids des vies et de l’histoire. Pour éviter de perdre ce patrimoine unique, une délégation cambodgienne s'est rendue à Paris en octobre 2025 dans le cadre du programme de coopération décentralisée liant les deux villes.
En juin 2025, les experts de la Ville de Paris et de l’Apur s’étaient rendus à Phnom Penh pour suivre les premiers travaux du projet de coopération décentralisée « Revalorisation du patrimoine architectural et urbain des quartiers centraux de Phnom Penh ».
Quatre mois plus tard, une délégation cambodgienne composée d’architectes, d’un anthropologue, et de représentants des districts venait à son tour à Paris. Objectif : comprendre comment une grande métropole entretient, rénove et valorise son bâti ancien.
Pendant une semaine, les visites de terrain, échanges techniques et rencontres d’acteurs institutionnels ont permis d’aborder un vaste éventail de sujets : diagnostic d’un bâti dégradé, gouvernance des immeubles en copropriété, qualité des espaces publics, mobilisation des habitants… Un véritable travail fondé sur la réciprocité et le partage d’expertises.
Un projet tripartite
Ville de Paris • Ville de Phnom Penh • Apur
Le projet est financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (DCT-CIV) et se déploie sur la période 2024–2026.
Ce projet vise à développer une méthodologie de réhabilitation des immeubles anciens tout en posant les bases d’un système de gestion de copropriété pour l’entretien des parties communes. Il comprend également la revalorisation des espaces publics autour des immeubles étudiés afin d’améliorer la qualité de vie urbaine. Enfin, il s’appuie sur un échange d’expériences et un renforcement de capacités entre Phnom Penh et Paris.

Une ville marquée par son histoire et confrontée à des défis uniques

Phnom Penh, fondée au XVe siècle, porte encore les cicatrices de son histoire récente. Entre 1975 et 1979, le régime des Khmers rouges a vidé la ville de ses habitants, interrompant l’entretien des bâtiments et laissant le patrimoine à l’abandon.
Le retour massif de la population en 1979 s'est opéré dans des circonstances difficiles, les archives et les plans cadastraux ayant été détruits ou perdus. Aujourd’hui encore, cette absence de documents complique la rénovation : il faut reconstituer, bâtiment par bâtiment, leur histoire et leur structure pour intervenir correctement.

Réhabiliter le béton armé : apprendre à réparer un matériau éprouvé par le climat.

Le premier volet de la mission parisienne portait sur la rénovation du béton armé, matériau omniprésent dans les immeubles des années 1960. À Phnom Penh, on y cuisine, on y joue, on y circule… les escaliers sont rongées par l’humidité tropicale et des décennies sans entretien sur les parties communes, et menacent aujourd’hui de s’effondrer.
Pour affiner leurs méthodes, les experts cambodgiens ont rencontré le laboratoire de Génie civil de l’Université Gustave Eiffel, référence européenne en la matière. Ils y ont découvert les tests de résistance, outils de diagnostic et protocoles utilisés pour restaurer des structures vieillissantes.
L’échange s’est poursuivi avec un atelier d’architecture ; les équipes ont pu confronter leurs approches face aux mêmes défis : restaurer sans dénaturer et intervenir dans un environnement humide et exigeant.
Quels problèmes posent la dégradation du béton ?
En climat tropical, les immeubles en béton armé des années 1950-1960 se dégradent rapidement lorsque l’humidité atteint les armatures métalliques. La corrosion provoque alors l’éclatement du béton, l’apparition de fissures et une diminution progressive de la capacité portante des planchers, poutres, passerelles et façades. Pour évaluer correctement ces désordres, des diagnostics adaptés sont nécessaires (mesure de la carbonatation, contrôle de la corrosion, tests de résistance). Faute d’entretien collectif et régulier, certains bâtiments voient leur stabilité s’affaiblir, entraînant à terme de véritables risques structurels dans les parties communes.

Observer Paris pour réinventer les espaces publics de Phnom Penh

L’autre grand thème de la mission concernait les espaces publics. Dans les villes d’Asie du Sud-Est, ils sont des lieux intenses de sociabilité et de circulation. Phnom Penh, en pleine croissance urbaine, doit faire face à une congestion massive liée à l’absence de réseau de transport structuré.
En parcourant le Marais, le 19ᵉ arrondissement ou les Olympiades, les experts cambodgiens ont observé les transformations engagées à Paris : rues apaisées, végétalisation, nouveaux usages piétons. Ces démarches inspirent leurs propres réflexions sur l’adaptation des espaces publics à Phnom Penh aux enjeux de mobilité, de climat et de densité.
Comme à Paris, la consultation des habitants est désormais envisagée comme un outil central pour repenser l’usage des rues de Phnom Penh.

Vers la création des copropriétés : poser les bases d’une gestion collective du bâti

Le dernier volet de la mission portait sur la gouvernance des immeubles. Phnom Penh dispose depuis peu d’un cadre légal qui autorise la création de copropriétés pour les bâtiments anciens. Le projet s’attache donc à élaborer des outils pour structurer cette gouvernance : comités d’immeubles, règles de gestion, médiation en cas de conflit.
Pour nourrir leur réflexion, la délégation a rencontré la société de requalification des quartiers anciens (SOREQA), experte du traitement de l’habitat indigne, et d’autres acteurs spécialisés dans les questions de copropriété. Leurs retours doivent contribuer à bâtir un modèle adapté au contexte cambodgien.
Cette mission a permis un véritable partage d’expérience, dans une logique de réciprocité. Les représentants cambodgiens repartent avec de nouvelles pistes techniques et organisationnelles, tandis que les Parisiens enrichissent leurs approches, notamment en bénéficiant d’un autre regard sur l’adaptation du bâti et des espaces publics à de fortes chaleurs.
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